LA POÉSIE FÉMINISTE
Ce qui anime principalement la littérature québécoise moderne, c’est un désir de liberté. D’abord nationale, l’émancipation s’étend, au cours des années 1970, au statut des femmes. Dans un monde où le pouvoir, les hautes fonctions et les grands rôles semblent réservés aux hommes, sans même parler de la domination sur le corps des femmes, de nombreuses écrivaines prennent conscience de leur infériorisation. Elles cherchent alors à s’affranchir des conventions et leur prise de parole fait souvent écho aux revendications féministes occidentales.
Présente à la Nuit de la poésie, Nicole Brossard (1943-) est une figure marquante de la poésie québécoise grâce à son œuvre souvent expérimentale. Elle refuse les limites habituelles entre les genres littéraires pour mélanger la fiction, la poésie, l’essai et le journal intime, dans des livres d’une grande intensité. Avec elle, on assiste à l’émergence d’une solidarité féministe : « la nuit venue lorsque de mèche/nos fronts se souviennent des plus belles/délinquances, on bouge un peu la main/pour que s’ouvre sous nos yeux/la mémoire agile des filles de l’utopie/se déplaçant en italique/ou en une fresque vers toutes les issues ».
Après la génération revendicatrice de Nicole Brossard, France Théoret, Josée Yvon et Louky Bersianik, le féminisme connaît un fort ressac dans les années 1980 et 1990, alors que l’Occident vit un retour au conservatisme. Les thèmes abordés deviennent plus introspectifs, comme chez Louise Dupré ou Geneviève Amyot. Au XXIe siècle, on voit ressurgir l’énergie de la colère, souvent avec un certain sens de la dérision, qui joue allègrement sur les stéréotypes, comme dans la poésie de Chloé Savoie-Bernard, Marie Darsigny et Marjolaine Beauchamp.
LA BRIGADE (extrait)
On s’fait une brigade de filles toujours la tête drette même au moment d’rentrer dans le mur
On s’fait une brigade de connes, de folles, de putes, de salopes, de nymphettes, de MILF, de cougars, de malades mentales, de borderlines, de maniaques…
« Le bon dieu envoie ses plus gros combats à ses meilleurs soldats », bullshit de pastorale, on fait semblant d’y croire, on r’met not’ cass, on r’part se battre…
Se battre contre un ventilateur, un pot d’pickles, une garde partagée, une place de parking, une job mal payée, une bonne vue dans le festival
Se battre pour se battre, pour avoir mal en quelque part à l’extérieur de soi
On s’fait une brigade de filles trop folles pour être voulues, trop fulgurantes pour être toutes seules, que tout le monde aime à un bras de distance
Marjolaine Beauchamp, « La brigade », M.I.L.F. (2018)