LE HAÏKU
Horace, l’auteur de l’expression ut pictura poesis, a produit une autre formule passée à l’histoire, carpe diem, qui veut dire « saisir le jour ». Par-delà les siècles, elle nous invite à demeurer attentifs à l’instant. Il ne s’agit pas de fermer les yeux sur le passé ou d’éviter de se projeter dans le futur. L’essentiel est d’accorder toute son attention à l’expérience directe des sens, qui a toujours lieu au présent.
Alors que la tradition gréco-latine a été marquée davantage par l’Histoire et les grands héros du passé, la poésie de l’Extrême-Orient, en particulier du Japon, est plus absorbée dans l’instant. Sous l’inspiration du bouddhisme zen, des poètes comme Bashô et Issa pratiquent la poésie comme un art spirituel. Toute leur attention est dirigée vers les choses les plus fugaces : une grenouille sous la lune, une feuille qui tourbillonne, des traces d’oiseau dans la neige. Ils rendent compte de ces instants éphémères dans des poèmes très brefs, de seulement trois vers, appelés haïkus, l’une des formes poétiques les plus célèbres et les plus pratiquées de nos jours.
La lecture d’un haïku produit un effet étrange et apaisant, comme s’il arrivait, à travers un détail, à nous rendre présent au monde. Au Québec, si certains poètes en font une pratique quotidienne, comme André Duhaime, on trouve déjà des haïkus chez Jean-Aubert Loranger et Simone Routier, dès les années 1920.
La fraîcheur –
J’en fais ma demeure
Et m’assoupis.
Bashô (1644-1694)
Pavés désertés,
Chaude, étrange avalanche :
Juillet, un dimanche.
Simone Routier, L’Immortel adolescent (1928)