1. MATERNELLE
David avait le diabète et un cadeau pour moi. Nous étions ensemble dans les Lego, il m’a dit : Tiens, je suis allé chez Jean Coutu avec mon grand-père en fin de semaine et c’est ça qui est tombé de la machine à une piastre, je veux te la donner. Comment tu as deviné que c’est l’émeraude ma pierre de naissance?
2. BISCUIT SODA
Je demande aux élèves : Vous savez c’est quoi le clickbait? Oui Madame, oui oui oui Madame, on le sait déjà Madame. Ma peau s’émiette lorsqu’on m’appelle Madame, je me regarde dans le miroir et je comprends
je deviens très vieille.
3. CLICKBAIT
IN-CRO-YABLE! Vous ne devinerez jamais
comment le seul garçon qui m’ait donné une bague
s’est tué aujourd’hui.
Mélanie Jannard a publié plusieurs poèmes et nouvelles dans des revues et collectifs, un recueil de poésie (Calamine, Éditions de l’Hexagone, 2017) et un livre jeunesse (Soda mousse : un Noël pétillant, La Bagnole, 2020). Elle est adepte des Stories Instagram et tient une chaîne YouTube où elle parle de littérature québécoise, entre autres. Mélanie donne des ateliers dans les écoles et elle adore ça, même si elle se fait appeler « Madame ».
Sa vision de la poésie
C’est une forme d’écriture sans règles à travers laquelle je me sens libre de m’exprimer, où je peux être à la fois brutale et ne pas tout dire. Je crois que la clé pour apprivoiser la poésie, c’est de la lire sans exiger de réponses à nos questions. Je réalise en écrivant cette phrase que le poème que j’ai écrit illustre un peu ça : non, vous ne saurez pas comment il est mort le gars de mon histoire.
Les poèmes imagés que crée Daniel Leblanc-Poirier sont un peu psychédéliques, comme un dessin à colorier dont il nous resterait à choisir les couleurs. Dans un texte qui peut être super touchant, il arrive à m’étonner en plaçant côte à côte deux mots que je n’aurais jamais pensé lire ensemble, ce qui ajoute un effet comique, mais sans tomber dans l’humour nécessairement. J’ai choisi de présenter Daniel, car il touche quelque chose d’important pour moi et toutes celles et tous ceux qui veulent découvrir la poésie : parfois, textuellement, je ne « comprends pas ce que ça veut dire ». Mais je ressens quand même une forte émotion à la lecture des poèmes, et c’est exactement ce qu’il faut garder en tête pour les apprécier.
des écoles de honte explosaient
et elle grattait du doigt les yeux des hommes
et rampait toujours discrètement
dans la merde de leur silence
[…]
elle était encore une petite fille
quelque chose avec l’âge qui s’évapore
comme un ruisseau de musique
lui aurait offert un grilled-cheese
cuisiné aux larmes de nylon
car j’aurais voulu l’habiller
de la plus belle veste des ouragans
contenus dans ses flaques d’eau de fillette
Nadège
Extraits du poème « Nadège »
Zoo
Pascale Bérubé est une autrice et poète qui a publié dans plusieurs revues littéraires (Guédailles, Estuaire) et collectifs (Libérer la colère, Zodiaque), et elle a su faire d’Internet un lieu de performance. J’aime son travail parce qu’il est accessible et unique; la direction que prend ses textes me surprend toujours – c’est ce que je préfère en poésie. Ses mots ont quelque chose de très brutal, ce qui fait changement du selfcare ambiant. Ils ne sont pas là pour nous faire du bien ni pour provoquer, mais pour être simples et vrais, comme dans sa phrase « trans is not always beautiful but it’s real ». Je suis interpellée par les thèmes (l’intimité, le corps) qu’aborde Pascale qui, au moment où j’écris ces lignes, travaille sur un premier recueil.
.selfies.
je suis belle
parce que les traits de mon visage
sont effacés
par le flash
ma face est un soir de première
où le sang
raconte son histoire ailleurs
je veux tout faire
alors je ne fais rien
je prends un selfie
mais c’est déjà l’heure de refermer
toutes les petites boîtes
les robes ont séché
on en excisera des factures
(poème publié dans la revue Estuaire numéro 175, p. 43)