L’ART DE LA MÉTAPHORE
La poésie repose sur la puissance des images. Homère parlait de l’aurore aux doigts roses, de l’esprit des jeunes gens qui flotte à tout vent. Shakespeare a forgé des formules qui sont passées dans le langage courant, de love is blind (« l’amour est aveugle ») à break the ice (« briser la glace », au sens de prendre l’initiative). Ces images sont appelées des métaphores : leur force repose sur l’association évocatrice de mots désignant des choses ou des réalités distantes. Nous en employons sans nous en rendre compte, quand nous parlons de lire dans l’avenir ou de meubler le temps. Mais la poésie, qui explore les possibilités du langage, a la particularité d’en créer de nouvelles.
Parfois, elles nous font voir le monde avec un regard neuf, comme Victor Hugo levant les yeux vers la lune : « Cette faucille d’or dans le champ des étoiles ». À d’autres moments, elles nous font ressentir plus concrètement des réalités intérieures difficiles à nommer, comme le « bœuf de douleur qui souffle dans mes côtes » de Gaston Miron, l’un des grands créateurs de métaphores du XXe siècle.
Dans sa volonté de renouveler notre perception du monde, le surréalisme a donné lieu à des associations très incongrues. L’exemple le plus célèbre est ce vers de Paul Éluard : « La terre est bleue comme une orange ». Souvent, comme dans Le Vierge incendié (1948) de Paul-Marie Lapointe, on rencontre des images dont le sens nous échappe : « Je suis une main qui pense à des murs de fleurs ». Voilà une métaphore qui se laisse difficilement comprendre, mais dont on sent bien la force imaginative et libératrice.