AFFIRMATION DE L’IDENTITÉ QUÉBÉCOISE
À la différence des grands aînés, qui étaient plus en retrait, Gaston Miron fait partie d’une génération de poètes militants, fortement impliqués dans la vie politique de leur époque. Publié en 1970, L’Homme rapaillé, son unique recueil, rassemble des poèmes écrits sur une vingtaine d’années, à différentes phases de sa vie : « La marche à l’amour », « Monologue de l’aliénation délirante », « La Batèche »…
On peut dire que Miron est un poète à la fois lyrique et épique, un être d’amour et de désir, doublé d’un homme en lutte, portant sur ses épaules l’émancipation de son peuple. En entrevue, il revient souvent sur les moments cruciaux qui lui ont fait prendre conscience de la situation minoritaire des Québécois en Amérique du Nord : l’humiliation subie dans sa jeunesse à Saint-Agathe-des-Monts, quand la petite ville se remplissait de touristes anglophones pendant l’été; l’analphabétisme de son grand-père; le choc qu’il ressent à son arrivée à Montréal, devant la présence envahissante de l’anglais. Bref, le sentiment persistant d’être un étranger dans son propre pays.
Avec des amis, il fonde l’Hexagone, une maison d’édition qui publie de nombreux poètes associés à la poésie du pays. Tous sont engagés dans l’affirmation (et le questionnement) de l’identité québécoise à laquelle on assiste pendant la Révolution tranquille. À les relire, cependant, on s’aperçoit qu’ils ne parlent pas seulement du Québec. Ils appellent une appartenance fondamentale, une relation à la terre et à la mémoire qui doit être reconnue, et approfondie.
LA MARCHE À L’AMOUR (AUDIO)
LES SIÈCLES DE L’HIVER
Le gris, l’agacé, le brun, le farouche
tu craques dans la beauté fantôme du froid
dans les marées de bouleaux, les confréries
d’épinettes, de sapins et autres compères
parmi les rocs occultes et parmi l’hostilité
pays chauves d’ancêtres, pays
tu déferles sur des milles de patience à bout
en une campagne affolée de désolement
en des villes où ta maigreur calcine ton visage
nous nos amours vidées de leurs meubles
nous comme empesés d’humiliation et de mort
et tu ne peux rien dans l’abondance captive
et tu frissonnes à petit feu dans notre dos
Gaston Miron, « Les siècles de l’hiver », L’Homme rapaillé (1970)