LE PROSAÏSME
L’histoire de la littérature, c’est l’histoire d’une descente. D’abord, les hauts faits, les dieux, les vertus qui nous élèvent, la nature sublime, et soudain, avec Les Fleurs du mal de Baudelaire ou Les Misérables de Victor Hugo, arrivent les pauvres, une charogne, les déboires de la vie ordinaire.
Aujourd’hui, on peut dire que la poésie québécoise est plus que jamais tournée vers le bas. Elle le fait souvent dans une langue brute, proche de l’oralité, qui évite à tout prix la préciosité. Patrice Desbiens est une référence en la matière, avec ses comparaisons qui donnent une bonne idée de sa conception du vrai, du beau et du bien (les valeurs cardinales de l’art classique) : « Tu es vraie/comme le sang/comme la lune au-dessus/d’un centre d’achat. » Josée Yvon descend plus loin encore dans « la défection minuscule du quotidien », chez elle dans la boue et la disgrâce, qu’elle accueille comme un trésor.
Depuis quelques années, plusieurs jeunes poètes explorent le premier degré de la réalité, attirés par ce qu’on pourrait considérer comme indigne de la poésie. Son chevalet, Antoine Boisclair a décidé de le planter dans un Starbucks : « Des êtres sans visages accoudés au comptoir/consultaient leur écran avec un air de qui sait tout. […] Dans quel Starbucks de quelle ville a eu lieu cette scène? » Maude Veilleux imagine « l’altérité totale » d’une flaque de sang sur le plancher d’une usine. François Rioux reprend une formule de Baudelaire, « l’empire familier », pour décrire le foisonnement quotidien de l’insignifiance. Parfois aussi, comme chez Jean-Christophe Réhel, c’est le poète lui-même qui se tourne en ridicule : « J’oublie/ma tête/j’oublie/de grandes choses/ma tête est encore en vacances sur une plage/je ne la trouve plus/je suis revenu/mais je ne la trouve plus/mourir demande du temps/je déboule les escaliers/depuis mes 12 ans ».