LE POÉSIE ENGAGÉE
L’image du poète solitaire, en retrait du monde, ne doit pas faire oublier que [CA(1] la poésie a toujours été liée au combat. En fait, il n’y a pas de contradiction entre ces deux tempéraments. Les poètes militants dénoncent un système qui nous exploite et affaiblit nos facultés et le font justement pour préserver la liberté d’esprit, l’ouverture au monde, qui animent les contemplatifs.
C’est pourquoi René Lapierre ne cesse d’opposer l’amour du honteux, du rejeté, aux multiples formes de la haine, ce « déni de toute chose existant et vivant ». François Guerrette, qui fignole ses métaphores comme des bombes à retardement, connaît aussi la puissance de la beauté fragile : « avec les cendres tu as semé/des fleurs et des secrets pour les prochaines/injections de pollen, tu fais pousser/des armes douces ». Le danger serait évidemment, pour les guerriers, d’oublier dans leurs combats ce qu’Andrée Lacelle nomme « la lumière de notre colère ».
Et aux contemplatifs, à ceux qui se sentiraient coupables de ne pas être dans l’action, il faut rappeler que le retrait lui-même est une forme de résistance. À une époque si grégaire, si polarisée entre des vérités extrêmes, Benoît Jutras oppose une autonomie foncière : « Je veux que ma solitude les tue. »
D’un côté comme de l’autre, la poésie vise un profond réveil, une prise de conscience collective : « quelqu’un quelque part saura/vous sauver de votre fatigue », écrit Daria Colonna. Mais qu’aurait-on oublié? Au nom de quoi faut-il lutter? Disons-le simplement, avec Jonathan Roy : « moi pourtant ma mère me semble/m’avait appris à aimer le monde/pis le monde qui vit dedans/la base ».