LA POÉSIE MIGRANTE ET FRANCO-CANADIENNE
D’abord centrée sur l’identité nationale, la littérature québécoise est devenue, pendant les années 1980, un lieu de rencontre pour des écrivains venus d’ailleurs. Certains d’entre eux – surtout d’origine haïtienne, vietnamienne et italienne – reçoivent rapidement de l’attention : pensons à Ying Chen et Dany Laferrière.
Il semble néanmoins que cette ouverture à l’autre ait entraîné une certaine résistance. C’est du moins ce que suggère Marco Micone, l’auteur d’une réécriture de Speak White intitulée Speak What. L’identité québécoise, minoritaire dans le poème de Michèle Lalonde, est alors présentée comme une culture dominante, un peu fermée sur elle-même : « nous sommes cent peuples venus de loin/pour vous dire que vous n’êtes pas seuls ». La force de la formule est son double sens : elle est, à la fois, une demande d’hospitalité et de reconnaissance (ne nous ignorez pas) et une déclaration de solidarité (nous sommes avec vous).
Le grand point commun de ces écrivains migrants est d’éprouver le choc de l’exil et le besoin de se raconter. Le déracinement semble exiger de revenir aux origines, de faire le pont entre le passé et le présent. C’est le cas chez Joël Des Rosiers, né aux Cayes en Haïti : « comme le père de mon père j’assemble les signes/cela n’est pas un fantasme cela n’est pas une image/je fouille je remonte à la source je veux savoir de qui/je tiens ces mains atypiques ». Ainsi donc, au moment où la question nationale devient moins centrale, surviennent des écrivains hantés par une identité incertaine, eux-mêmes étrangers dans leur propre pays. La même difficulté se présente à d’autres poètes du Canada francophone, de l’Ontario à l’Acadie, comme Patrice Desbiens et Herménégilde Chiasson. Par un beau retournement, le sentiment d’exil apparaît alors comme un point de rassemblement.
Je suis né pas loin d’ici.
J’ai encore les traces sur mon ventre.
Taches de naissance.
Je suis né pas loin d’ici mais
personne ne me reconnaît.
Je montre des photos de moi aux habitants.
« Avez-vous vu cet homme? » je leur demande.
Patrice Desbiens, Sudbury (1983)