DE FRANÇOIS VILLON À ARTHUR RIMBAUD
Pendant longtemps, les poètes ont glorifié la nation, les dieux, les rois. Ils remplissaient alors, au sein de la société, une fonction essentielle : garder en mémoire, rappeler les grands idéaux, célébrer les grands hommes. Avec le temps, cependant, leur rapport au pouvoir et aux valeurs de la société en général change.
Au XVIIIe siècle, Voltaire impose l’image de l’écrivain critique, qui ridiculise le pouvoir établi. Un peu plus tard, avec l’industrialisation et la montée de la bourgeoisie, on voit apparaître des poètes qui refusent les normes sociales et l’appât du gain. Ils préfèrent mener leur vie avec désinvolture, sans contrainte.
L’un d’eux, Paul Verlaine, les appelle les poètes maudits : on pense à son ami Arthur Rimbaud, à des poètes fascinés par le macabre comme Baudelaire, Nerval ou Edgar Allan Poe aux États-Unis, mais aussi à des ancêtres misérables comme Rutebeuf et François Villon, au Moyen Âge.
Jugée obscure et preuve de folie, la poésie des poètes maudits n’a rien de vertueuse. Elle s’attache plutôt à montrer les facettes les plus sombres de l’humain, tout en révélant des formes de beauté inattendues. Encore aujourd’hui, l’image du poète en général est souvent réduite à celle du poète maudit, méprisant les foules et rêvant de liberté.
SENSATION
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.
Arthur Rimbaud, « Sensation » (1870), Poésies complètes,
avec préface de Paul Verlaine, 1895