Entre Ludo et Antoine Charlotte essaie d’aimer
sans décollement de la rétine ni dislocation des bras
de l’amour sans passion
confortable
comme on regarde un épisode de Modern Family
le pyjama inondé de miettes de chips
effritement d’étoiles à lécher sereinement
au milieu d’un rire de pré-sommeil
Ludo l’a laissée
Antoine l’aimera quand il se décidera
mais entre-temps il faut de la tendresse usuelle
se faire dire qu’on est belle
et sentir des mains circonflexes sur sa taille
ça rassure toujours au cœur de ses 16 ans
entre-temps il y a Philippe
un amoureux par intérim
comme un directeur intérimaire
qui remplit les tâches de la directrice en allée
en attendant le nouveau remplaçant là pour de bon
comme le maire temporaire
après le scandale qui a sali le premier
et qui salira le prochain
inexorablement
Depuis que Tammy l’a laissé
Antoine tarde à s’installer dans la vie de Charlotte
alors celle-ci avec Philippe
meuble la solitude
Philippe colmate ce qu’il y a à colmater
il a les compliments faciles et le portefeuille bien plein
Charlotte aime se faire dire qu’elle sent bon
ablution Dove trois fois par jour
le privilège d’une hygiène hystérique
intempéries de brosse à dents
gadoue de dentifrice
accidents de gencives qui chapeautent les broches
goutte de parfum à la vanille derrière les oreilles
et dans le tissu de ses vestes fraîches
Charlotte aime se faire offrir un billet de cinéma
un Sprite format moyen
des chips nature
et un baiser dans le cou
mais
car il y a toujours un mais
quand elle part se brosser les dents
pour déloger les chips coincés entre les broches
dans les toilettes aux néons mauves du Starcité
elle ne se rend pas compte que Philippe sèche ses larmes
dans la veste à la vanille
qu’il tient dans ses mains
comme un amoureux patient
et éternel
ce qu’il ne sera pas
car Antoine est sur le point
de se décider à aimer Charlotte
sans passion
confortablement
entre Tammy et Daphnée
Simon Boulerice est un touche-à-tout épanoui. Il écrit principalement pour le théâtre, mais a aussi publié des romans pour adultes comme pour enfants, ainsi que des recueils de poésie. Parmi ses récompenses, nommons le Prix Piché de poésie 2009 pour son recueil Saigner des dents. Son roman Javotte s’est mérité le Prix des lecteurs émergents de l’Abitibi-Témiscamingue 2013. Edgar Paillettes a, pour sa part, remporté le Prix jeunesse des libraires du Québec 2014, alors que son recueil de poésie pour ados Les garçons courent plus vite a été finaliste au Prix du livre jeunesse des Bibliothèques de Montréal 2016, récipiendaire du Prix littéraire des enseignants AQPF-ANEL 2016 et lauréat du Prix Communication-Jeunesse 2017, catégorie 12 ans et plus. En 2022, Simon est également encensé par la critique pour le scénario de la série Chouchou, diffusée sur Noovo. À 40 ans, il fait encore la split au moins une fois par jour.
Sa vision de la poésie
Pour définir succinctement la poésie, je paraphraserais deux grands hommes de lettres, deux charmants Paul. Le premier, Paul Valéry, disait que la poésie intéresse autant l’oreille que l’esprit. Le second, mon ami Paul Lefebvre, écrivait récemment sur une napkin : « Poésie = images encodées dans un rythme ». C’est exactement ça. J’ajouterais peut-être simplement que pour moi, la poésie, c’est prêter des beautés à ce qui est, à priori, avare d’éclats.
Dany Boudreault est né à Métabetchouan, au Lac-Saint-Jean. Très tôt, il est appelé par la poésie. Après de brèves études en critique et dramaturgie à l’UQAM, il bifurque vers le jeu théâtral. Il obtient son diplôme en interprétation de l’École nationale de théâtre en 2008. C’est lors de sa formation qu’il publie deux puissants recueils parus aux Herbes rouges : Et j’ai entendu les vieux dragons battre sous la peau (2004) et Voilà (2006). Il s’est ensuite commis au théâtre avec l’écriture des pièces poétiques Je suis Cobain (peu importe) en 2009, (e) un genre d’épopée en 2013, puis Descendance en 2014, en coécriture avec Maxime Carbonneau, avec qui il a fondé la compagnie Messe basse. Il a aussi signé une pièce destinée au public adolescent : Maintenant je sais quelque chose que tu ne sais pas. Toute son œuvre – encore jeune – est marquée par la nécessité de la transmission. Boudreault parle de guerre comme d’amour. Il y a là un souffle tragique, mais généreux, des vers brefs et fignolés. Il y a là la fulgurance d’un poète incontenté, incontentable.
Notre lit est une bagarre de plus
va te coucher
je termine seul
[…]
tu es parti avec mon CD des Doors
j’ignore pourquoi je pleure
appelons cela l’impossible
[…]
je t’aime c’est important
comme les ruines de Pompéi
[…]
je ne peux pas te dire quand
quand j’aurai mon quota de nous
voilà, tu sais tout
Extrait de Voilà
Jean-Paul Daoust est un poète majeur. C’est certainement le plus flamboyant du paysage québécois, tant par ses habits scintillants que par sa diction traînante et roulante. Sur scène, Daoust sait livrer sa poésie de manière théâtrale. Depuis 1976, il a publié une trentaine d’ouvrages de poésie, deux romans et un recueil de récits. En 1990, son recueil Les cendres bleues – devenu un classique du corpus québécois – qui abordait l’amour d’un enfant pour un jeune homme de 20 ans, méritait le Prix du Gouverneur général. Daoust est le poète en résidence de l’émission littéraire Plus on est de fous, plus on lit!, sur les ondes de Radio-Canada où, chaque vendredi, il livre une ode. De ces textes, il a publié trois volets d’Odes radiophoniques, tous aux éditions Poètes de brousse. Dans l’ensemble de son œuvre foisonnante, on dénote que son regard implacable sur le monde et sa propre vie est traversé d’humour. Il y est toujours question de sexe, de beauté et d’une totale réappropriation de l’Amérique. Car au fond, Jean-Paul Daoust est l’incarnation du poète libre.
Lui qui m’aimait m’aimait
J’aurais connu l’amour
Pendant que les autres enfants
Apprenaient à répéter
Et déjà j’apprenais à faire souffrir
À l’âge de l’alphabet
Des chenilles des papillons des fourmis
Des sauterelles donne-du-miel où je te tue
Extrait de Les Cendres bleues