je suis occupé
slogan d’agenda
veux-tu un t-shirt pour l’afficher que tu t’effondres en braillant dans ton char ton entrée tu te rends jamais à ton lit [mais je veux que tu dises lit-te]
cernes is the new bijoux ostentatoires
des mille solitudes
seule la tienne compte
vie atomisée à se la jouer société couple amitiés pour passer le temps
qui reste
au travers des bâtiments de leur béton j’te mets au défi de trouver l’horizon t’es pas game nos têtes se brisent le cou pour saisir les volées d’oiseaux d’un arbre à l’autre le ciel se perd
je vais crier à faire péter les fenêtres que l’air nous prenne de bord en bord que le temps nous lâche les plis de la peau
ton souffle plus mon souffle équation pour s’animer la braise veux-tu sortir avec moi
dehors nos hurlements rebonds proche du ciel
[tu coches oui dans le carré vide]
on sera deux debord à attendre autour du feu
à se conter des histoires dans le creux de l’oreille d’un monde pas du monde
à débâtir
à s’insuffire
varlope nécessaire
[bonhomme sourire]
combat pour demain
[bonhomme sourire]
point mort pour s’écouter le respire deux secondes le calendrier brûle bien
c’est le début de la fin
[high five]
Véronique Grenier enseigne la philosophie au collégial depuis 2009. Elle est l’autrice, aux éditions de Ta Mère, des recueils de poésie Carnet de parc (2019) et Chenous (2017) et du récit Hiroshimoi (2016), également paru en Suisse chez Paulette éditrice, en 2017. Elle a collaboré, avec le chapitre intitulé « Polaroid », au recueil Sous la ceinture : unis contre la culture du viol (2016, Québec/Amérique), aux revues Art Le Sabord, Les Écrits, XYZ. La revue de la nouvelle, Jet d’encre et Exit. Chroniqueuse (Urbania, La Gazette des femmes, ICI Radio-Canada), blogueuse (Les p’tits pis moé), parfois conférencière, elle a aussi été porte-parole de la campagne provinciale « Sans oui, c’est non! » pour contrer les violences à caractère sexuel (2015-2018). Elle collabore également à la collection de chandails Les Beaux Jours (« Linge mou. », « Papier bulle, please. » et « Sablonneuse ») avec Vanessa Duval. Lauréate du Mérite estrien (janvier 2018), du prix Jean-Claude Simard 2017 de la Société de philosophie du Québec et récipiendaire du prix « Coup de cœur » du Conseil de la culture de l’Estrie (2015), elle a récemment fait paraître le micro-essai À boutte : une exploration de nos fatigues ordinaires (2022) chez Atelier 10
Elle aime le kitsch et les citations et déteste les demandes à l’Univers.
Sa vision de la poésie
Dire et faire surgir. Chercher à toucher, voire à se saisir d’une vérité. Être libre, pleinement dans le saccage de la langue et des formes et de l’attendu par respect de ce qui doit être nommé. Avoir le souffle fort. Une porosité à l’existence — se laisser avaler par sa beauté, sa laideur. L’équivalent de l’uppercut à l’écrit.
Confession : j’ai connu Mathieu dans un atelier d’écriture dirigé par Nathalie Watteyne, en 2002. Je me souviens encore avec vigueur d’une nouvelle qu’il nous avait lue, qui parlait d’une fille sur un comptoir de restaurant, je m’étais dit qu’il m’énervait de raconter aussi bien les choses. Il nomme ce qui est en étant en même temps capable de nommer ce qui est derrière, ce qui est profond, ce qui ne se voit pas. Son regard est juste. Je pense que je lui dois ça, une recherche de la saisie de la vie qui se trame à coup de détails, une capacité à la rendre en bulles pleines. À avaler d’un trait. Je suis tombée fermement amoureuse de ses mots dans Tabloid. J’attends toujours sa suite sur les oiseaux.
Épilogue à la famine
Chaque matin manque de finition
il fait noir avant souper
comme il fait noir après la mort
à la télé l’animateur s’étouffe avec son sourire
faudrait changer les piles de la télécommande
je me plie tout croche
dans n’importe quel tiroir
Extrait de Tabloid
Je suis tombée dans ses journaux intimes avant de lire les œuvres finies, les œuvres formelles, son Bell Jar, puis, plus tardivement, sa poésie. D’un seul souffle, la première fois. Incapable de me détacher de ses mots. En voulant du même coup ne jamais les avoir lus. L’écriture de Plath m’a chavirée, est venue me chercher dans le creux du ventre, là où tout se noue, se joue, se vit. Là où être équivaut un peu toujours à se tenir sur une corde raide. Sa démarche, ciselée dans ses carnets, au travers de ses doutes et inquiétudes, m’a également beaucoup inspirée. Une telle rigueur, un telle lucidité sur soi et le monde. Je la revisite souvent – lecture de matin, d’avant la vie – pour me donner des élans.
Dame Lazare
[…]
Mourir
Est un art, comme tout le reste,
Je m’y révèle exceptionnellement douée,
On dirait l’enfer tellement.
On jurerait que c’est vrai.
On pourrait croire que j’ai la vocation.
Extrait d’« Ariel », dans Œuvres