LE POÈME EST UN TABLEAU
Voilà ce qu’on enseignait, autrefois, sur les bancs d’école : ut pictura poesis, la poésie est comme la peinture, selon un vers de l’Art poétique d’Horace. Il existe une riche tradition poétique attachée à la description minutieuse du monde extérieur, description qu’on pourrait qualifier de « peinture ».
La nature inspire les poètes depuis toujours : à l’époque gréco-latine, elle fait apparaître et naître les dieux de la mythologie; dans l’Antiquité, la nature est le décor des dialogues de bergers des Bucoliques de Virgile. On appelle ce genre de poésie la poésie pastorale ou bucolique, car elle met en scène la vie champêtre des bergers. Plus tard, alors que la société délaisse peu à peu la mythologie, la nature devient elle aussi moins associée au fait religieux. Elle laisse place à un mystère auquel les poètes romantiques seront sensibles.
Le poème Le Lac d’Alphonse de Lamartine, poète très influent au XIXe siècle, est un exemple célèbre du genre de méditation que permet la proximité des lieux, dans une sorte de tête-à-tête entre le poète et le monde. Au Québec, à la même époque, pendant que la poésie épique chante les grands épisodes de l’histoire nationale, une poésie plus intime et solitaire préfère contempler les forêts et les rivières.
La ville étant associée à une laideur inhumaine, la poésie mettra du temps à y placer son chevalet. L’urbanité fait son apparition, en France, dans Le Spleen de Paris (ou les Petits poèmes en prose) de Charles Baudelaire. Ici, le poète est un flâneur qui s’attarde devant une passante inconnue ou le crépuscule qui baigne les esprits fatigués, après le travail. Au Québec, la poésie de Robert Melançon tient le monde à distance à la manière d’un peintre, avec une attention indéfectible aux moindres détails.
Par-dessus les corniches et les cheminées,
Le printemps déploie un ciel strié
De nuages que tout le prisme éclabousse.
On vient de passer l’équinoxe, on va
Dans la rue élargie vers les jours étales
Du solstice, vers le soleil des écoliers.
Une flaque laissée par mars recueille
L’espace vert et rose que l’aurore repeint
Chaque jour de plus en plus tôt.
Pour un peu on verrait dans ce miroir,
Entre les voitures qu’embue la rosée,
Des îles, des dômes d’or, des fleurs.
Robert Melançon, Le paradis des apparences, 2004