LA POÉSIE INTIMISTE
À partir de 1980, la poésie devient plus intime. Moins perceptibles, les préoccupations nationales semblent avoir trouvé, avec l’élection du Parti québécois en 1976, un véhicule politique plutôt que littéraire. Une telle évolution est lisible dans l’œuvre de Jacques Brault. Après Mémoire (1965), un recueil abordant les faiblesses d’un « pays d’attente lisse et froide », Moments fragiles (1984) témoigne d’un cheminement solitaire. Dans des poèmes courts et songeurs, proches de l’esprit du haïku, Brault veille sur l’instant : « Novembre s’amène/nu comme un bruit de neige/et les choses ne disent rien/elles frottent leurs paumes adoucies d’usure ».
On trouve le même esprit contemplatif dans le premier recueil de Marie Uguay, Signe et rumeur (1976). Sa poésie devient plus ample et assoiffée par la suite, comme on peut le lire dans L’Outre-vie (1979), à mesure que le cancer des os prend le dessus. La poète décède de la maladie à à peine 26 ans, en 1981. Elle nous a laissé des poèmes et un journal intime pénétrés de l’intensité de sa présence au monde. On la découvre livrée à la vie sensible, à l’amour du plus proche : « nous ne parlons plus/attirés par la fraîcheur de l’herbe et des nuages/et tout ce qui passe/projette ses ombres sur nos regards/la pièce sent le bois coupé et l’eau/dehors nous savons que tout se prépare/lentement à paraître ». Nous sommes ici dans l’instant fragile et lumineux. Pour une poésie souvent décrite comme introspective, on s’étonne de la présence de ce nous chez Uguay, et dans bien des recueils de l’époque. Le mot désigne souvent des proches, un couple, parfois aussi une communauté plus anonyme, rassemblés dans une même ouverture à la précarité des choses, dans un même souci du monde. La poésie se fait alors plus méditative, comme chez Hélène Dorion : « Chacun se perd/à l’intérieur de lui-même/dans le désir d’être ailleurs ».
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