chaque matin déplie
le haut de tes pieds sous le fauteuil
l’un
puis l’autre
attention !
le bois craque
on pourrait entendre
tes cris retenus
le va-et-vient du corps
l’essoufflement
ton ventre tiré jusqu’à la douleur
***
tu ruines
trou par trou
la ligne des hanches
le lait
tiré au-dessus des eaux
pour tomber des toilettes pour tomber
toutes tes violences
versées d’un jet
à l’inverse de ta gorge
et quoi encore
peut-être fermer les yeux
lisser bravement le duvet des cuisses
lever une jambe puis l’autre
regarde
les genoux collés
elles ne se rejoignent pas
***
et quoi encore
le saut du cœur qui s’échappe
demande pardon
une chemise avalée par la peau
une robe avalée par la peau
au matin
ton corps se retourne en lui-même
sans se plaindre
ni rompre aucun silence [1]
Née à Saint-Benjamin en 1994, Laurence Veilleux est l’auteure de Chasse aux corneilles (Poètes de brousse, 2014), d’Amélia (Poètes de brousse, 2016; prix Félix-Leclerc) et d’Elle des chambres (Poètes de brousse, 2019; prix Émile-Nelligan). Elle a collaboré aux collectifs Femmes rapaillées (Mémoire d’encrier, 2016) et Ce qui existe entre nous (Éditions du Passage, 2018) ainsi qu’à quelques revues. En 2019, elle remporte le Prix Félix-Antoine-Savard de la poésie. Elle est libraire et rédactrice adjointe du cahier « Champ libre » du Journal le Mouton Noir.
Sa vision de la poésie
Je crois que la poésie est le langage qui va au plus près de la vérité du corps. La poésie ose habiter les lieux insondables. Elle me semble être l’équilibre entre le geste et la parole. Je crois que la poésie a le pouvoir d’entrer en nous, un chant peut-être qui doit absolument nous habiter, faire résonner notre corps au sens de l’histoire qu’elle donne.
[1] Anne HÉBERT. Aurélien, Clara, Mademoiselle et le lieutenant anglais. Éditions du Seuil, Paris, 1998.
C’est l’incroyable du hasard qui m’a fait découvrir, dans une bouquinerie, la poésie de Catherine Lalonde. Il y a de ces livres dont on ne démord pas. Pour moi, Corps étranger en est un. J’ai avalé ses vers coupants, ses poèmes comme autant de cris de femmes, d’amour et de violence retournés bord en bord avec une langue claquante, sans compromis. La force de cette langue me semblait en faire résonner d’autres, de femmes qui écrivent. Lalonde m’a appris que nous ne sommes pas seules.
L’écho se propage dans La dévoration des fées, dernier ouvrage de l’autrice, où les filles débusquent une puissance étrange dans la lignée des femmes et des poètes qui les précèdent – Josée Yvon, Geneviève Desrosiers, Hélène Monette, D. Kimm – et la voix de Catherine Lalonde n’en est que plus percutante, mêlant héritage littéraire à l’héritage familial de ses personnages.
Il faut également dire que Catherine Lalonde est journaliste au Devoir et qu’elle détient une formation en danse contemporaine. Ses lectures publiques sont souvent des performances ou le corps comme le texte s’engagent.
Tu joues à mes cheveux des prières étranges
c’est pour t’endormir
une petite musique dans ta chambre d’os
et tes R tes croyances craquent au mouvement
tu cherches à chacun de mes seins
le lait monté de ma mère et ses lectures
sous nos langues cette fondue blanche
d’aspirine de retailles de souvenirs de vodkas et d’hosties
tes maisons à cinq doigts seules pour calmer
les oiseaux les faucons pas pèlerins de ma tête et
ramener le silence le silence le silence
Extrait de Corps étranger
Originaire de la baie Sainte-Marie, Georgette Leblanc met de l’avant l’oralité et l’histoire dans une poésie narrative investie par le chiac, langue acadienne mélangeant le français et l’anglais et qui porte en elle-même une sacrée poésie. Détentrice d’une formation en danse, Leblanc cherche à créer une poésie du corps.
Alma, son premier recueil, dont la lecture se fait comme celle d’un roman, raconte une femme acadienne qui traverse la guerre, l’amour, l’isolement territorial, la crise économique de 1929, l’insensibilité des hommes, les grossesses sans cesse recommencées comme autant de boulangerie. Alma raconte Alma qui traverse une époque entière racontée à mesure, au bout du bout de laquelle elle trouve la force de résister avec une étonnante petite joie.
La petite Aurore se réveille
neuf mois dans mon ventre
le four était venu trop chaud
sa pâte prenait trop de place
elle sortit de mon ventre
comme si elle avait toujours été là
patiente
guettant qu’ej me décide
qu’il y eût de la place dans le logis
il y avait de la place en masse
Pierrot était parti
parti donner à manger aux oiseaux de lipstick rouge
désorientés, affamés dans leurs nids
guettant la fin de la guerre
dans ses plumes du matin
ses petites mains de merle me grimpont
halont ma skirt pour une miette de lait
mais j’ai point besoin de voler
pour aller chercher de-quoi à manger
mon corps est fait de lait et de racines
Extrait de Alma