UN MOMENT HISTORIQUE
La Nuit de la poésie est un événement phare dans l’histoire de la littérature québécoise. Dans la nuit du 27 mars 1970, 4 000 personnes se rassemblent au théâtre Gesù pour entendre les grands poètes du Québec. Plusieurs autres personnes, qui ne peuvent entrer faute de place, célèbrent dans la rue. Trois générations se rencontrent à ce moment : les aînés, avec le poète Claude Gauvreau, dont les poèmes en langue exploréenne (composée de mots inventés) laissent l’auditoire un peu mitigé; les poètes du pays, représentés notamment par Gaston Miron et Gérald Godin, qui tournent en ridicule les « coquerelles de parlement » et autres représentants du pouvoir; les jeunes poètes de la contre-culture comme Raôul Duguay et Denis Vanier, plus excentriques, proclamant l’amour universel et la déchéance de la civilisation.
Le cinéaste Jean-Claude Labrecque en tire un film imprégné de l’atmosphère électrique de la soirée, devenu un incontournable dans les cours de littérature québécoise. De toutes les lectures, une des plus puissantes demeure celle de Michèle Lalonde, l’une des rares femmes invitées, avec le poème Speak White. Le poème se veut une réponse à une insulte longtemps lancée aux Québécois par les anglophones : speak white, ça veut dire parler en anglais, « parlez blanc ». Cette insulte remonte à l’époque des plantations américaines et de l’esclavage, où l’anglais est la langue du maître. L’audace de Lalonde est d’associer la situation du peuple québécois à celle de tous les peuples opprimés.
SPEAK WHITE (AUDIO)
SPEAK WHITE (extrait)
Speak white
il est si beau de vous entendre
parler de Paradise Lost
ou du profil gracieux et anonyme qui tremble
dans les sonnets de Shakespeare
nous sommes un peuple inculte et bègue
mais ne sommes pas sourds au génie d’une langue
parlez avec l’accent de Milton et Byron et Shelley et Keats
speak white
et pardonnez-nous de n’avoir pour réponse
que les chants rauques de nos ancêtres
et le chagrin de Nelligan
Michèle Lalonde, 1968
LA NUIT DE LA POÉSIE DU 27 MARS 1970 (VIDÉO)
Réalisé par Jean-Claude Labrecque et Jean-Pierre Masse - 1970 | 111 min