LA POÉSIE AUTOCHTONE
L’anthropologue Rémi Savard désignait ainsi les peuples autochtones, des étrangers venus d’ici, en référence à la méconnaissance qui existe et subsiste encore entre les peuples autochtones et non autochtones. Issus de traditions orales, les autochtones ont laissé peu de traces écrites. Depuis quelques années cependant, surtout du côté des Innus et des Wendat, on assiste à une prise de parole impressionnante.
Les éditions Mémoire d’encrier et Hannenorak, notamment, donnent aux poètes autochtones la place qui leur revient. Les premiers recueils de Jean Sioui, Rita Mestokosho et Joséphine Bacon (dont les livres sont en innu et en français) ont révélé des voix profondes, presque mythiques. Leur relation viscérale au territoire est appuyée par une mémoire ancestrale partiellement effacée, mais bien vive : « Dans l’odeur d’un ciel bas/d’une même pensée, les joies/les gestes, les appels de gorge/fécondations de l’âme sauvage/offerts au Grand Esprit. » On est frappé par l’intemporalité de tels poèmes, comme si le déracinement vécu par les autochtones avait imposé, comme chez les écrivains migrants, un retour aux sources.
Du côté des plus jeunes, comme Marie-Andrée Gill et Louis-Karl Picard-Sioui, le rapport à la tradition semble plus ambigu. On se méfie des clichés, et l’ancrage dans la réalité contemporaine est plus franc et explicite. L’appel de la nature, le sens de la communauté, l’esprit guerrier sont là, mais très concrètement, avec tous les inconvénients de la vie courante : « Je marche dans la forêt dense, je m’égratigne partout et j’aime ça. Vraiment, j’aime que mon corps se magane par le hors-piste, qu’il ait des traces comme des signes de fierté et d’autonomie, de force et d’endurance. Dans ces moments-là, je suis toute là, pas tuable – pas grand chose et totale à la fois. » (Marie-André Gill)
Je ne sais pas chanter
Pourtant, dans ma tête
Un air me rappelle
La verte Toundra
Mon corps s’appuie
Sur une présence
Invisible
La ville où j’erre
Et l’espoir que tu m’accueilles
Puisque je suis
Toi
Apu nitau-nikamuian
Nipeten nikamunanitak
Nitshissituten uapitsheushkamiku eshi-shipekut
Nitashpatshikapaunaua
Miam tat anite auen
Nimatshishun
Utenat natamiku ka papamuteian
Nipakusheniten tshetshi uishamin
Uesh ma nutshin
Anite etain
Joséphine Bacon, Un thé dans la Toundra (2009)