Comme si tu me l’avais ordonné
je me coiffe, m’habille, m’oublie
je fais de moi ce que je suis
ton visage est le seul
que je reconnaisse, tu dis :
tu me plairais même
sous la forme d’un fantôme
alors je suis devant le miroir
invisible; j’entends mon père,
le cliquetis des clés,
l’auto démarre sans moi.
Je porte une bombe à la ceinture
fabriquée de bric et de broc
à quoi allons-nous ressembler
quand nous serons à l’agonie?
Tapie sous les couvertures
je suis une arme dangereuse
un dernier baiser, corps-à-corps
à retardement, je tripote nos rêves.
Maman a rejoint Jésus dans l’aspirateur,
elle pourrait tenir dans mes mains
si petite devant nos plans pour le vide;
les murs de ma chambre sont des rideaux
de cendre pour accrocher pendue
la racine de mes cheveux; nous étudions
la métaphore de la première fois
je profite de mes moments d’anesthésie.
Nous nous collons
à notre squelette émietté d’enfant,
le premier souffle.
Carole David est l’auteure d’une œuvre qui mêle narrativité et poésie, américanité et féminité comme en témoignent ses recueils de poésie Terroristes d’amour (1986) (prix Émile-Nelligan), Abandons (1996) (Prix de poésie Terrasses Saint-Sulpice) et La Maison d’Ophélie (1998) (finaliste au Prix littéraire du Gouverneur général du Canada), son roman Impala (1994), son recueil de nouvelles Histoires saintes (2001) et sa novella Hollandia (2011). Ses livres sont traduits en anglais et en italien. Elle détient un doctorat en études françaises et a participé à des salons du livre à l’étranger ainsi qu’à des tournées. Elle s’est aussi engagée à divers titres dans la vie associative littéraire. Manuel de poétique à l’intention des jeunes filles (2010) a été finaliste au Prix littéraire du Gouverneur général du Canada, a remporté le prix Alain-Grandbois et un des prix de l’Académie de la vie littéraire.
Elle a publié en 2015 L’année de ma disparition (poésie) aux Herbes rouges, qui lui a valu le Prix des libraires, catégorie poésie. En 2020, elle est lauréate du prestigieux Prix Athanase-David pour l'ensemble de son œuvre.
Sa vision de la poésie
Sans la poésie, je n’existerais pas. Je ne serais rien. La poésie est mon guide de survie. Elle épie mes faits et gestes, les traduit, les happe, les transforme en un ciel étoilé, un chien esprit, ma mère disparue, mon amour de jeunesse. Elle est un condensé de mes histoires romanesques, de mes pertes, un acte dans ma biographie littéraire. Je lis et j’écris de la poésie. Depuis, je sais qu’une rose est une rose est une rose est une rose (Gertrude Stein), que la terre est bleue comme une orange (Paul Éluard) et que je vis, je meurs; je brûle et me noie (Louise Labé).
Paul-Marie Lapointe n’a que 18 ans lorsqu’il publie son premier recueil de poésie Le Vierge incendié. À peine entré dans l’âge adulte, il se démarque alors de ses contemporains en délaissant le vers classique pour le vers libéré de toutes contraintes. Sa révolte est portée par les mots et les images. Il ne prend pas les armes, il dépose de petites bombes dans ses poèmes. Influencé par les surréalistes européens et les Automatistes québécois, il développe dans ses autres recueils, dont Pour les âmes, une poétique marquée par le jazz américain, un certain lyrisme et l’improvisation.
J’ai 18 ans quand j’achète avec mon argent de poche Le réel absolu : poèmes 1948-1965. Hier comme aujourd’hui, la poésie de Lapointe, à travers le choc permanent des images, incarne cette « liberté du désir » évoquée par le chef de file du mouvement surréaliste, André Breton.
le temps tombe
familles giboulées passereaux
le temps tombe
une tribu perdue remonte à la surface
enfants des pyramides du soleil
amphores de poussière maïs et
[fourrures
falaise des morts
(falaise comme ruche d’où s’envolent les
âmes gorgées des nécrophages les
blancs)
famille stupéfaite
Extrait de « Le temps tombe »
Le réel absolu
Issue d’une famille de la classe moyenne, Josée Yvon fait des études classiques. Attirée par le théâtre, elle entreprend un baccalauréat en art dramatique à l’UQAM. Elle écrit des pièces, joint la troupe du Grand Cirque Ordinaire comme éclairagiste (on la surnomme alors « la fée des étoiles ») et est une des cofondatrices du Théâtre Sans Fil. Elle amorce par la suite une œuvre sans compromis, entre poésie et récit, marquée par l’américanité, la contre-culture et le féminisme. Son écriture unique et inclassable pose un regard sur les bas-fonds de la cruauté. Depuis son décès prématuré en 1994, disloquées, rapiécées, ignorées, les femmes kamikazes de Josée Yvon continuent d’ébranler la poésie québécoise. J’ai écrit mon premier livre de poésie, Terroristes d’amour (1986), en écho à son œuvre.
coule le sang de Marilyn sur les seconals.
un 3 ½ surmeublé rue Hochelaga vers le lit chaud de Ginette, le bain bouché avec le papier de toilette le plus doux, un téléphone qui se lamente, une canne de ragoût de boulettes ouverte sur la fournaise dans le vertige de pisse de chat, les plantes mortes un beau désespoir étalé presque correct.
Extrait de La chienne de l’hôtel Tropicana