Je dégivre lentement nos tendresses
Tandis que tu me récites
Une histoire étrangère
L’amour gronde
Quand je le retiens
Par la peau du cou
D’un geste vif j’émiette
Nos ombres enchevêtrées
***
Le goût de l’arbre
Au fond de la gorge
J’effrite le bruit des pierres
L’odeur de tes mots
Le jour est court
J’ai tissé tes absences
De fils désordonnés
Comme une fourrure de carcajou
***
Je recolle
Entêtée et légère
Les pelures d’une saison morte
Le paysage montre patte blanche
C’est l’automne
Tes baisers tombent
Et les cimes incendiées
Racontent notre disparition
Nous fuyons derrière la pierre
Loin du souffle du loup
***
C’est pourtant à pas de loup que tu t’éloignes
Lorsque la lumière doucement
Résonne contre les toits
Seule
J’entends la pulsation des arbres
Je suis sève et chute
Et grognement
Originaire des Îles-de-la-Madeleine, Geneviève Boudreau habite à Québec. Elle détient une maîtrise en études littéraires, pour laquelle elle a obtenu la bourse Hector de Saint-Denys Garneau, volet essai (2008). Elle enseigne la littérature au collégial. Elle est l’auteure des recueils Acquiescer au désordre (L’Hexagone, 2012), qui a reçu le Prix du premier recueil de poèmes de la Fondation pour la poésie, Le regard est une longue montée (L’Hexagone, 2015) Comme on tue son chien (Noroît, 2017) ainsi que Si crue que tu pourrais y mordre (Noroît, 2019). Elle a participé à plusieurs lectures publiques et spectacles littéraires, au Québec et en France. Ses textes sont notamment parus dans les revues Estuaire, Exit, Les Écrits et Bacchanales.
Sa vision de la poésie
La poésie sauve du silence les instants du quotidien qui forment l’essentiel de nos vies et qui pourtant s’effacent aussitôt advenus, emportés par leur propre mouvement de disparition. Elle ramène ainsi au langage ce qui se tient au plus près de l’indicible. Elle fait entendre « le bruit des choses vivantes », selon l’expression d’Élise Turcotte. Elle permet de cristalliser un fragment du réel et de le révéler dans sa violence et sa force. Parfois, ce n’est presque rien : un cri, le bleu d’une ombre, le reflet d’un regard dans une vitrine. Parfois, c’est au contraire tout un territoire ou une rencontre inespérée. La poésie est pour moi le seul véritable moyen d’interroger et d’apprivoiser les êtres et les choses. « Ma poésie chercheuse », disait Marie Uguay.
Élise Turcotte a publié des romans, des nouvelles, de la poésie ainsi que des œuvres destinées à la jeunesse. Son écriture s’attache à dévoiler la beauté tout comme la violence qui se terrent sous la surface parfois anodine du quotidien.
Les recueils de poésie d’Élise Turcotte proposent des univers bien définis qui poussent le lecteur à s’interroger sur des dimensions cachées de l’existence. Sous une écriture souvent feutrée, empreinte d’une certaine douceur, c’est l’indicible qui se dévoile : la mort, la violence, la douleur. Le poème invite ainsi le lecteur à prendre conscience d’une condition humaine commune à tous.
L’œuvre d’Élise Turcotte me plaît parce qu’elle est libre et lucide, n’hésitant pas à explorer des sujets moins abordés par la littérature. Chaque recueil est un nouveau voyage qui nous entraîne tantôt au cœur du Mexique sur les traces de jeunes filles disparues, tantôt dans l’intimité d’autoportraits, tantôt dans la sauvagerie d’un mystérieux bestiaire – et toujours dans la tension du langage, où les mots sont vertiges.
Voici le jour, les mains de Carla retroussant le décor. Bruit des arbres, bruit de la démarche, du choix, de la multiplication. Bruit de l’enfant dans la modernité. Un peu de passé, juste assez, pour qu’elle ne craigne rien. L’amour, qui est maintenant presque autre chose. Le froissement de ses vêtements dans l’histoire. La chute avec beaucoup de légèreté entre les os.
Extrait de La voix de Carla
Auteure de trois recueils de poésie, Signe et rumeur (1976), L’Outre-vie (1979) et Autoportraits (1982, posthume), Marie Uguay a fortement marqué le paysage littéraire québécois. Son œuvre inachevée, interrompue par la maladie qui a emporté la poète à l’âge de 26 ans, fait entendre une voix intime, sensible à l’éphémère et à la beauté que suscitent les différentes manifestations de la vie : les saisons, la « vibrante forêt de la ville », le « désir de l’autre, désir du monde »…
C’est peut-être ce désir qui illumine le plus l’œuvre de Marie Uguay, et qui rend sa poésie si essentielle et poignante. À la douleur et à la maladie, elle oppose une soif insatiable de vivre qui l’amène à explorer notre monde tant dans ce qui s’offre que dans ce qui nous échappe.
Si j’aime Marie Uguay, c’est pour sa « poésie chercheuse » et la lumière que portent ses mots, c’est pour le désir d’amour et d’émerveillement qu’elle nous transmet, c’est pour la richesse de la vie quotidienne et des paysages dont elle témoigne.
J’irai partout ailleurs
l’hirondelle la fumée les roses tropicales
c’est tout le matin ensemble
puis l’homme que l’on aime et que l’on oublie
je serai bien le jour
dans cette moisissure d’or
qui traîne dans toutes les capitales
et le tapis usé les ascenseurs
Je n’ai plus d’imagination
ni de souvenirs forcément
je regarde finir le monde
et naître mes désirs
Extrait de L’Outre-vie