voilà que l’été se fait de vieux os
dans sa persistance de cuivre
le soleil se glisse
sous la gorge des filles
fait aller ses doigts dans leur ombre
la chaleur n’est plus un problème
pour personne
nous sommes tous cuits et recuits
*
j’aimerais me dépiauter de moi
dans l’œil de l’autre
je suis à l’étroit dans cette personne
je me rends peu à peu
à l’évidence du temps
qui se rétracte dans ses bourgeons
me cherche une chambre
avec vue
sur mon repli
j’aimerais déboutonner un à un
les espaces noirs de ma poitrine
débouler de moi dans l’herbe
à mes pieds
et partir
plus léger que la soif
plus coupant
que le vol oblique
d’un oiseau
sur le brouillon des rues
*
je parle toujours d’arbres
je m’accroche
au revers de leurs feuilles
où la lumière vient mordre
quand le temps
met ses gros yeux noirs de mouche affamée
je parle d’arbres
mais je remue mes morts
les allume un à un
dans ma mémoire
repassant mes généalogies
comme des chemises trop vastes
où je ne reconnais plus
les frontières de mon corps
Titulaire d’une maîtrise en création littéraire, Mathieu Simoneau publie régulièrement dans des revues et sur Internet, rédige des critiques de poésie pour divers périodiques et participe activement à la scène littéraire de Québec. Finaliste à plusieurs reprises au Prix de poésie de Radio-Canada et gagnant de la bourse Rolande-Gauvin en 2013, il reçoit en 2014 la mention du prix Piché pour sa suite « Sur l’autre versant », publiée dans le recueil Tailler les mammifères aux Éditions d’Art Le Sabord. Il est l’auteur de deux recueils, Il fait un temps de bête bridée (2016) et Par la peau des couleuvres (2019), publiés aux Éditions du Noroît.
Sa vision de la poésie
La poésie est pour moi une quête. C’est un voyage qu’on fait dans le noir, à la lumière du langage, et au cours duquel on ne peut que suivre son intuition, guidé par une émotion et les mots qu’elle porte en elle, vers un lieu inconnu qui est le poème. Vouloir y parvenir, c’est prendre un certain risque, celui de découvrir un autre que soi, et de le devenir petit à petit, au fil du temps. Ce lieu du poème, on ne le connaît pas au début, mais, comme le dit Jacques Brault, « on connaît à en mourir son absence ». On n’y demeure jamais complètement, mais dès qu’on en franchit le seuil, on sait qu’on en reviendra transformé, prêt à y retourner sans cesse.
Poète et romancière, Geneviève Amyot a vécu toute sa vie dans la région de Québec. D’abord enseignante, elle a ensuite consacré sa vie à l’écriture, laissant derrière elle une œuvre empreinte d’intimisme et de révolte et ancrée dans un vocabulaire à la fois teinté d’oralité et de sensualité.
Dans son œuvre, Geneviève Amyot aborde différents thèmes tels que l’enfance, la famille, la maternité et la mort, notamment à travers le prisme du quotidien et du corps, et ce, dès son premier recueil de poésie, La mort était extravagante, et tout particulièrement dans son livre le plus marquant, Je t’écrirai encore demain.
J’aime son œuvre pour son effet libérateur, qui m’a permis d’explorer une parole crue et authentique, sans complaisance ni compromis, dans un langage d’une grande spontanéité.
nous avons peur de faire des enfants
puis nous voilà dans la hantise sans cesse
de les perdre
la leucémie les voitures
une allumette un détraqué
un champignon vénéneux
atomique
la mer
la mer
ils n’ont peur de rien
les enfants jouent dans la mer
comme dans une histoire très ancienne
la mer n’est pas trop grande pour les enfants
la mer est grande simplement
comme l’espoir
Extrait de « Nous sommes beaucoup qui avons peur »
La mort était extravagante
Gaston Miron a été un poète et un éditeur, cofondateur des Éditions de l’Hexagone en 1953. Grâce à son œuvre principale, L’homme rapaillé, il a marqué plusieurs générations de poètes, notamment celle des poètes du pays, dont il a été la figure de proue pendant les années 60 et 70.
Poète engagé, de gauche et ardent souverainiste, Miron a lutté toute sa vie contre l’aliénation linguistique du Québec francophone, situation qui lui a inspiré une œuvre d’un grand lyrisme dont les thèmes de l’amour et du militantisme politique reflètent un profond humanisme.
J’aime la poésie de Miron parce que sa sensibilité ancrée dans l’identité québécoise nous parle d’ici avec des mots d’ici, tout en nous faisant vivre une expérience profondément humaine et universelle.
Tu as les yeux pers des champs de rosées
tu as des yeux d’aventure et d’années-lumière
la douceur du fond des brises au mois de mai
dans les accompagnements de ma vie en friche
avec cette chaleur d’oiseau à ton corps craintif
moi qui suis charpente et beaucoup de fardoches
moi je fonce à vive allure et entêté d’avenir
la tête en bas comme un bison dans son destin
Extrait de « La marche à l’amour »
L’homme rapaillé