tu sautais de pierre en pierre
à la recherche d’un abri
sous tes vêtements
la pluie coulait
jusqu’à tes pieds
tes yeux
on aurait dit deux souris
grises et tremblantes
trop près du piège
tu ne sautes plus
au fond des poches
quelques billets
chiffonnés
comme toi
même pas assez
de monnaie
pour rentrer
le lampadaire clignote
mal assuré
tu passes de la lumière à l’ombre
le trottoir n’indique plus
ni le sud ni le nord
le bracelet
qu’elle t’avait donné
il brille encore
dans la nuit
la rue est vide
ta tête
bondée
tu te rappelles
la boule brûlante
dans le ventre
ta mère
le matin
où elle est partie
Après avoir œuvré en danse contemporaine, Rosalie Trudel se consacre aujourd’hui à la littérature, et en particulier à la poésie. Elle est détentrice d’une maîtrise en création littéraire à l’Université Laval, dont le département des littératures lui a décerné en 2012 le prix de poésie Rolande-Gauvin pour L’Ondée, paru au printemps 2013 aux Éditions du Noroît. Elle publie essais, nouvelles et poèmes sur des sites tels que Récits d’artistes et Le Crachoir de Flaubert, et elle s’intéresse à la présence et au processus de création. Elle a notamment été invitée au Festival de la poésie de Montréal, à Québec en toutes lettres et au Festival international de poésie de Trois-Rivières.
Sa vision de la poésie
La poésie se forme des particules de l’air, des plis du drap, de la poussière sur la vitre. Elle épouse la forme de la main, de l’haleine tiède, de la penture brisée de la porte. La poésie se transporte dehors, quand les voitures nous frôlent, que le bruit enveloppe les vies. La poésie est pour moi un grand espace de liberté. La poésie me parle, car elle transporte tout ce qui fait de nous des humains : notre beauté, notre douleur, nos doutes, nos joies, ce qui nous unit ou nous déchire. La poésie est vivante et s’intéresse à la vie! C’est un langage qui joue sans cesse et me fait découvrir les mots et le monde de façon toujours nouvelle. Poésie de l’aube, poésie qu’on crie, poésie cachée. Nous lisons le poème pour mieux laisser la vie nous emporter.
Louise Dupré est l’une de nos grandes poètes québécoises. Elle est née à Sherbrooke et a été professeure de littérature et de création littéraire à l’UQAM. En plus de la poésie, elle écrit des nouvelles, du théâtre et des essais. Membre de l’Ordre du Canada et de l’Académie des lettres du Québec, elle a reçu en 2011 l’une des plus importantes reconnaissances offertes aux poètes d’ici : le prix du Gouverneur général pour son magnifique recueil Plus haut que les flammes.
Dans ce livre, elle a choisi pour thème la souffrance de l’Holocauste durant la Seconde Guerre mondiale. Même si elle y parle de douleur, les joies de l’enfance y sont aussi présentes, ainsi que la lumière, la beauté et l’espoir. Louise Dupré écrit chaque matin, couchée dans son lit, entourée des livres qu’elle aime et de son chat Einstein.
J’aime l’écriture de Louise Dupré, car elle est très intime. J’y ressens à la fois une grande force et toute la fragilité qui nous habite. J’admire la manière dont cette poète nous fait passer d’un vers et d’une strophe à l’autre, comme si tout avait été tricoté très finement dans un ensemble où tout se tient.
la terre n’attend pas
le repentir ni la prière
elle veut retrouver le cycle
des semailles
et des moissons
et l’eau humble
jetée par le printemps
et les onctions en spirales
sur la tête des nouveau-nés
même tremblant, un geste
ressuscite parfois
la chair des mots
étouffés
sous la poussière
comme un testament
de l’ombre
que tu graverais
dans ta propre chair
car la mémoire des mort
cherche une demeure
elle te demande
à boire
à danser
Extrait de Plus haut que les flammes
Louise Warren vit depuis plusieurs années près d’un lac, dans un petit village de la région de Lanaudière. Elle se dédie à l’écriture de recueils de poésie et d’essais portant sur le processus d’écriture. Louise Warren est très sensible à la nature qui l’entoure, aux objets qui peuplent sa vie et aux autres arts comme la peinture ou la danse. Elle absorbe leur présence avec une grande sensibilité, pour ensuite nous la transmettre à travers ses poèmes.
Son univers ressemble un peu à celui d’un moine zen, comme si elle était en méditation lorsqu’elle écrit. Ses poèmes vont à l’essentiel et sont le plus souvent composés de quelques vers brefs ou de fragments en prose. Louise Warren laisse respirer l’espace de la page, comme l’espace du lac devant elle.
J’aime sa poésie, car elle me pousse à porter attention aux petites choses autour de moi. Elle me donne le goût de m’arrêter, de prendre le temps, d’ouvrir tous mes sens et de goûter au monde qui m’entoure.
Parfois le présent contient trop de présence, trop de présent. On sent que la lumière entre dans les doigts, que les maisons rétrécissent. Il faut alors orienter le temps, tracer un sentier, creuser un fossé, suivre une fourmi, marcher seule. Les rues des villes s’agitent, rivières bruyantes. Le sentier, une heure de feuilles, de mousse verte, devient abstrait. Les traits répondent à des questions que nous ne posons pas. Nous vivons dessus, dessous, nous continuons. Poissons, peut-être, depuis des siècles. […]
Extrait d’Anthologie du présent