Dans toutes les cultures, la poésie exprime les liens d’un peuple et d’un territoire. Les épopées le font sur le mode de la conquête, en célébrant les héros qui ont laissé leur empreinte au fil du temps. D’autres voies d’appropriation sont possibles. La sagesse autochtone, par exemple, enseigne que c’est nous qui appartenons à la terre, et non l’inverse. Il s’agirait moins de conquérir que d’accueillir ce qui s’offre à soi, avec humilité. Au Québec, pendant la Révolution tranquille, poètes, romanciers et cinéastes ont ressenti le besoin de nommer le territoire. Dans Toutes isles, Pierre Perrault reprend les mots de Jacques Cartier lui-même pour nous faire redécouvrir le fleuve Saint-Laurent.
Du côté des poètes contemporains, on assiste à une topographie des marges, tournée vers ce qu’on pourrait appeler l’arrière-pays. Pierre Nepveu, par exemple, revient sur les terres abandonnées de l’aéroport de Mirabel, réveiller les fantômes des propriétaires expropriés au nom du progrès : « une clôture électrifiée/trace la limite des terres arables/tandis que plus loin les outardes égarées/se posent en douceur sur la piste vide ». De son côté, Mathieu Arsenault écrit une suite de poèmes sur le terrain, en faisant la tournée des bars du Saguenay. Judy Quinn consacre tout un livre à un quartier de banlieue, l’Auberivière, et Thierry Dimanche, un long poème au cratère de Sudbury, possiblement le berceau de la vie sur Terre. Marcel Labine explore quant à lui une cité imaginaire, Poet’s Corner, un « monde déshabité » qu’il s’exerce « à bâtir poème après poème. » Le même sentiment de désolation imprègne le recueil Expo Habitat de Marie-Hélène Voyer, du royaume rural de l’enfance aux « paysages qui s’engendrent jusqu’à l’écœurement » de l’autoroute 20. Des paysages vitaux et animés, plusieurs en découvrent dans les grands espaces de la Côte-Nord, une sorte de territoire de l’esprit. Là, on renoue avec quelque chose d’élémentaire, un certain souffle, comme chez Natasha Kanapé Fontaine : « mon pays m’appelle/mon pays me revient/j’achève mon exil/pour un retour/tremblant. »
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